jeudi 15 novembre 2007

Le pickpocket

Une foule dense lèche les vitrines d'un grand magasin parisien. Les automates y sont installés depuis hier seulement, et déjà des familles entières défilent devant ces jouets au charme suranné qui rappellent aux parents leur jeunesse et aux enfants le grenier de leurs grands-parents. On pouffe, on s'esclaffe, on sourit d'un oeil détaché, on surveille ses enfants, on est captivé par les mouvements préconditionnés de marionnettes qui paraissent animées.

Emprunté, maladroit, chétif, un homme au pardessus élimé se laisse porter par ce flot de spectateurs en translation, pour mieux s'en extraire quelques mètres plus loin et gagner les marches d'un escalier sur lesquelles il s'accorde quelques instants de répis. D'un oeil distant mais sûr, il toise les passants qui présentent la moindre ouverture dans leur habillement: une veste mal boutonnée, un cabas à demi-refermé, un sac à main tenu trop en retrait.

Ce talent de physionomiste n'est pas tout. Comme une lionne qui attendrait le moment propice pour fondre sur sa proie, notre homme doit encore récolter toutes sortes d'informations qui l'aideront à estimer ses chances de succès : la victime est-elle en train de téléphoner ? Est-elle affairée au point de découvrir sa garde ? Une collision malencontreuse lui ferait-elle perdre ses esprits ou au contraire les retrouver ? Au risque que l'occasion disparaisse aussi vite qu'elle ne s'est présentée, le pickpocket doit en une fraction de seconde planifier puis exécuter son offensive, ou au contraire remiser son dessein à plus tard sous peine d'être découvert.

C'est seulement après de longues heures d'observation que notre homme saisira l'instant décisif pour exprimer son talent. Après avoir soigneusement choisie sa victime selon l'ardeur qu'elle montre à suivre les gestes des automates, il la bousculera par mégarde et profitera de sa confusion pour faufiler sa main sous le revers de sa veste et y chercher un portefeuille, un stylo-plume, un billet. Oui, le savoir-faire du pickpocket est un art qui allie la dextérité du prestidigitateur à l'instinct du grand fauve.

Aucun commentaire: