mercredi 21 novembre 2007

Stefan Zweig

On acclame souvent Stefan Zweig pour l'éclectisme de son oeuvre littéraire : recueils de nouvelles, pièces de théâtre, biographies, romans. On lui reproche parfois son côté "dandy" et intellectuel, qui l'aurait conduit à préférer l'exil au combat pendant les deux guerres mondiales. On insiste plus rarement sur le génie de son écriture, sensible, introspective et troublante de lucidité.

Stefan Zweig possède le don de révéler la profondeur de l'âme humaine en quelques mots. Il offre au lecteur les clés d'un monde intérieur, subjectif et poétique mais tellement universel. On souffre à la place de cette grande bourgeoise murée dans la peur que son époux ne découvre son adultère, on tremble avec le pickpocket qui n'a d'autre choix pour survivre que de voler, on pleure le bouquiniste Mandel, si extravagant et pourtant tombé dans l'oubli, on éprouve l'injustice dont est victime le collectionneur aveugle et dépossédé de ses estampes inestimables, on effleure la folie du joueur d'échecs prisonnier de son échiquier, on ressent la vulnérabilité de ce médecin expatrié qui se réfugie sur le paquebot du retour vers l'Europe, on est embarassé par la confusion des sentiments qui agitent le jeune étudiant devant son professeur.

La fulgurance des images et des correspondances, la finesse de l'analyse des sentiments, l'épaisseur psychologique des personnages dans la plus courte de ses nouvelles, placent Stefan Zweig aux avant-postes littéraires du siècle dernier.

jeudi 15 novembre 2007

Le pickpocket

Une foule dense lèche les vitrines d'un grand magasin parisien. Les automates y sont installés depuis hier seulement, et déjà des familles entières défilent devant ces jouets au charme suranné qui rappellent aux parents leur jeunesse et aux enfants le grenier de leurs grands-parents. On pouffe, on s'esclaffe, on sourit d'un oeil détaché, on surveille ses enfants, on est captivé par les mouvements préconditionnés de marionnettes qui paraissent animées.

Emprunté, maladroit, chétif, un homme au pardessus élimé se laisse porter par ce flot de spectateurs en translation, pour mieux s'en extraire quelques mètres plus loin et gagner les marches d'un escalier sur lesquelles il s'accorde quelques instants de répis. D'un oeil distant mais sûr, il toise les passants qui présentent la moindre ouverture dans leur habillement: une veste mal boutonnée, un cabas à demi-refermé, un sac à main tenu trop en retrait.

Ce talent de physionomiste n'est pas tout. Comme une lionne qui attendrait le moment propice pour fondre sur sa proie, notre homme doit encore récolter toutes sortes d'informations qui l'aideront à estimer ses chances de succès : la victime est-elle en train de téléphoner ? Est-elle affairée au point de découvrir sa garde ? Une collision malencontreuse lui ferait-elle perdre ses esprits ou au contraire les retrouver ? Au risque que l'occasion disparaisse aussi vite qu'elle ne s'est présentée, le pickpocket doit en une fraction de seconde planifier puis exécuter son offensive, ou au contraire remiser son dessein à plus tard sous peine d'être découvert.

C'est seulement après de longues heures d'observation que notre homme saisira l'instant décisif pour exprimer son talent. Après avoir soigneusement choisie sa victime selon l'ardeur qu'elle montre à suivre les gestes des automates, il la bousculera par mégarde et profitera de sa confusion pour faufiler sa main sous le revers de sa veste et y chercher un portefeuille, un stylo-plume, un billet. Oui, le savoir-faire du pickpocket est un art qui allie la dextérité du prestidigitateur à l'instinct du grand fauve.

mercredi 14 novembre 2007

Londres et Paris - suite

C’est après une première expérience professionnelle passée à parcourir le réseau international d’une banque française puis une formation complémentaire en mathématiques financières que j’ai décidé de poser mes valises outre-manche. Mais pourquoi Londres plutôt que Paris ? Les raisons sont essentiellement professionnelles : la capitale britannique a su exploiter son statut de première place financière en Europe et profiter mieux que Paris de l’essor récent des métiers liés à la finance de marché.

De nombreuses banques sont friandes des qualités techniques développées par les ingénieurs français et se reposent en partie sur eux pour concevoir de nouveaux produits dérivés puis en gérer les risques, au point de faire de Londres un véritable « hub » mondial pour certaines de leurs activités de marchés de capitaux (crédits, matières premières, change,…). Je travaille aujourd’hui à Londres pour une raison simple : mon métier n’existe pas à Paris !

Pourtant, les clichés sur l’Angleterre se portent à merveille : un climat humide, des métros sans cesse en panne, une tradition culinaire plus que douteuse, des prix vertigineux. Mais tous ces désagréments passent au second plan dans une ville jeune et cosmopolite, où l’on oublie vite les origines de chacun. Et puis, on finit par s’attacher à ce peuple voisin qui passe son temps dans les files d’attente quand il n’est pas occupé à s’excuser ou à jouer de la litote ! La raison m’a poussé vers Londres et le cœur à y rester.

mardi 6 novembre 2007

Poulailler et salle de marchés

Les opérateurs de salle de marchés sont un peu comme les poules au poulailler. Alignés en rangs d'oignons, ils se nourissent de plus-values et de commissions tandis que les volailles se gavent de grain pour engraisser le plus vite possible. Car l'avenir est compté, au poulailler comme en salle de marchés : les uns sont condamnés par les plus jeunes aussi sûrement que les autres finiront rôties ou grillées.

samedi 3 novembre 2007

Linéarités et ruptures

"La vie n'est pas un long fleuve tranquille, Maman." Sur le ton de la trivialité, Maurice Le Quesnoy cerne en une phrase le paradoxe de la vie : rythmée par le temps qui s'écoule constamment, elle est aussi faite de ruptures, de changements radicaux qui réorientent son cours. Comment s'accomoder de cette dualité ?

Une vie sans piment, sans divertissement, conduit à l'ennui et au desespoir. Une vie instable et sans repères mène à l'isolement et à la ruine de soi. Menacés par ces choix extrêmes, les hommes semblent osciller entre ces deux maux. En effet, nous sommes tous en prise aux linéarités et aux ruptures de la vie : linéarité de la croissance ou de la scolarité, rupture devant la mort d'un proche ou la naissance d'un enfant. Confort d'un travail répétitif et encadré, incertitude du lendemain après un licenciement. Enracinement affectif et rupture amoureuse. En un mot, nous vivons de régularités et de singularités.

Il faut identifier dans nos vies les invariants sur lesquels s'appuyer pour affronter les mutations. Pouvoir renoncer à la satisfaction éphémère que procurent les biens matériels. Cultiver le jardin secret de ses sentiments d'amour, de générosité et d'optimisme pour garder le cap dans la tempête. Ne pas juger ou se comparer à autrui selon une échelle de valeurs mercantiles, mais plutôt conserver de solides amitiés qui survivent au changement.